Africa2020

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Des partitions ouvertes invitant à l'imaginaire

Une plateforme de partage

La Saison Africa2020 est une plateforme de partage de questionnements sur l'état des sociétés contemporaines qui, au-delà de l'Afrique, sont en résonance avec la France et le reste du monde.

Il était crucial, dans le cadre d'une Saison qui concerne tout un continent, de construire la programmation autour d'une série de dénominateurs communs à plus d'un milliard deux cent millions d'Africains.

La Commissaire générale, N'Goné Fall, a souhaité associer des personnalités africaines à l'identification des grandes questions sociétales qui sont abordées par la Saison Africa2020. Spécialisés en sciences sociales et politiques, dans les questions liées au genre, en histoire contemporaine, en théorie et en jeune création, Ntone Edjabe1, Nontobeko Ntombela2, Folakunle Oshun3 et Sarah Rifky4 ont été choisis pour leur esprit critique et leur remarquable capacité à transcender des idées.

 

theme portrait

 

Intelligence collective

En se basant sur le principe de l'Intelligence collective, un atelier a été monté du 25 au 29 juin 2018 à Saint-Louis du Sénégal par la Commissaire générale avec ces quatre personnalités. L'objectif était de permettre à une équipe africaine de mener une réflexion sur l'Afrique, ses sociétés et leur futur aux portes du désert du Sahara, dans une petite île loin du tumulte des grandes métropoles. Sur le plan symbolique, il était important que cet exercice se déroule sur le sol africain, territoire où tous les participants sont nés, ont grandi, travaillent et puisent leur inspiration.

Lors de cet atelier, l'équipe a cartographié les principales idées faisant l'objet de recherche et de production intellectuelle, scientifique et artistique en Afrique, et dégagé cinq grands axes de réflexion. Les titres ont été volontairement définis dans l'esprit de partitions ouvertes invitant à l'imaginaire.


(1) M. Ntone Edjabe, Cameroun. Vit à Cape Town, Afrique du Sud. Écrivain et DJ, fondateur et éditeur de Chimurenga, magazine panafricain de culture, sciences sociales et politiques. Fondateur de la Pan African Space Station (PASS), une plateforme de recherche en ligne comprenant une radio pop-up qui diffuse en direct, des archives et une bibliothèque. (2) Mme Nontobeko Ntombela, Afrique du Sud. Vit à Johannesburg, Afrique du Sud. Conférencière en histoire de l'art et gestion du patrimoine à l'Université Witwatersrand de Johannesburg, Afrique du Sud. Champs d'études : théorie de l'art, féminisme dans les arts visuels, éducation artistique. (3) M. Folakunle Oshun, Nigeria. Vit à Lagos, Nigeria. Artiste et commissaire d'expositions. Fondateur et directeur de la biennale de Lagos. Champs d'études : Histoires parallèles, engagement social, cultures contemporaines. (4) Mme Sarah Rifky, Égypte. Vit au Caire, Égypte. Commissaire d'expositions, critique d'art, chercheuse en études urbaines et théories modernes. Doctorante en Histoire, en théorie, en pensée critique, programme Aga Khan, MIT, USA.


1. Oralité augmentée


• Diffusion des connaissances
• Réseaux sociaux
• Innovations technologiques


L'Afrique utilise depuis des siècles des formes visuelles, orales et écrites, matérielles et immatérielles, pour transmettre des idées, des savoirs et des connaissances. Qu'il s'agisse des hiéroglyphes de l'Égypte antique, de l'alphabet Guèze1, des récits des griots du Mandé2, de la symbolique des poids Akan3 à peser l'or du 13ème siècle, des codes rythmiques des tambours ou du Kebra Nagast4, les exemples sont multiples. La télévision, la radio, le cinéma et la musique, sont des vecteurs traditionnels de diffusion orale de connaissances, d'histoires et de morales. Ils partagent aujourd'hui cette mission de transmission avec de nouveaux supports nés des innovations liées au numérique: Smartphones, Internet, Twitter, Instagram, et toutes les applications qui véhiculent des idées à travers des émoticônes. Que signifie l'oralité au 21ème siècle ?


(1) 7ème siècle avant JC, Érythrée et Éthiopie. (2) Sahel Occidental. (3) Les poids figuratifs et non figuratifs akans (actuels Côte d'Ivoire et Ghana) à peser l'or, hormis leur fonction première de système pondéral, ont servi d'alphabet, de proverbes et de dictons. (4) L'ouvrage La Gloire des Rois (début du 14ème siècle), une association de légendes populaires éthiopiennes, de traditions bibliques, talmudiques et coraniques, est un récit épique fondateur de l'Empire d'Éthiopie.


2. Économie et fabulation


• Redistribution des ressources
• Flux financiers
• Émancipation économique


Parce qu'un salaire peut faire vivre dix personnes dans de nombreux pays africains, la redistribution des ressources ne passe pas par les États. Et dans certains pays, l'économie dite informelle, qui représente plus de la moitié de l'économie nationale, ne devrait-elle pas accéder au statut d'économie officielle ? Les populations des villes frontalières africaines ont depuis longtemps transcendé les taux de change via des devises occidentales en utilisant des systèmes d'équivalence qui remontent parfois au Moyen-Âge.

Les transferts d'argent réalisés par les expatriés africains vers l'Afrique ont représenté plus de 60 milliards de dollars en 2016. En empruntant des voies médianes telles que le Hawala1, Western Union, MoneyGram, et Orange Money, ces flux financiers prouvent, à travers des réseaux de solidarités familiaux et corporatistes, que l'émancipation économique n'est pas toujours un mythe en Afrique. En 2018 certains pays africains (Ghana, Éthiopie, Côte d'Ivoire, Djibouti, Sénégal, Tanzanie) ont réalisé un taux de croissance entre 6,8% et 8%. Infrastructures, monde rural, chômeurs, politiciens, affairistes, multinationales... à qui profite ces années de prospérité annoncée ?


(1) Système de transfert de fonds né au Moyen-Âge (route de la soie, routes des caravanes du Sahel).


3. Archivage d’histoires imaginaires


• Histoire
• Mémoire
• Archives


Comment nos histoires personnelles, familiales, nationales, régionales et continentales sont-elles en lien avec l'Histoire du monde ? À travers quels prismes se raconte l'histoire et quels sont les véhicules de transmission ? L'histoire vue par le chasseur est-elle encore la seule valable ?

À l'heure des réseaux sociaux et des lanceurs d'alertes, les rôles et les responsabilités se sont démultipliés et les faits divers prennent souvent le pas sur le recul et l'analyse pondérée. Comment se transmet la mémoire et dans quels buts ? Avons-nous vraiment appris des erreurs du passé ? La mémoire n'est-elle pas parfois instrumentalisée pour servir des dessins populistes et attiser les haines ? Qui archive quoi, au nom de qui, et pour quoi faire ? Qui décide de ce qui est majeur et de ce qui relève de l'anecdotique ? Que faisons-nous de nos archives personnelles ? Que diront les milliards de messages audios et de sms sur nos téléphones mobiles, de courriels, de comptes de réseaux sociaux et de sites Internet de l'état de l'humanité au 21ème siècle ? Les historiens ne sont pas les seuls à se pencher sur ces questions à résonance existentielle.


4. Fiction et Mouvements (non) autorisés


• Circulation des personnes, des idées et des biens
• Territoire


Si le manque de liaisons aériennes et ferroviaires, tout comme les visas contraignants, parviennent à ralentir le nombre de déplacements en Afrique, ils ne pourront jamais les endiguer. Les plus grands camps de réfugiés africains ne sont pas en Italie et en France. Ils sont au Kenya, en Ouganda, en Tanzanie, au Soudan du Sud et en Éthiopie.

Un vol Conakry–Bruxelles (6 368 km) coûte deux fois moins cher qu'un Conakry–Lagos (2 790 km). Pour un Dakar–Luanda (4 276 km) vous avez le choix entre un trajet de 19h40 via Bamako et Nairobi (8 966 km) ou de 15h30 via Lisbonne (8 571 km). Sur les 54 pays du continent africain, le nombre de visas obligatoires avant le départ varie : 4 pour un Français et environ 35 pour un Kenyan.

Voyager à sa guise en Afrique ne dépend pas uniquement de son pouvoir d'achat et de son temps, mais également de sa nationalité. Ceci explique peut-être la multiplication des voyages virtuels et des cybercommunautés à travers le monde. Les concepts de nation et de frontière se redéfinissent aujourd'hui au gré de multiples critères.

Les quinze états membres de la Communauté Économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), qui ont le même passeport depuis 2000, ont validé en 2016 le projet de remplacer toutes les cartes nationales d'identité par une seule carte régionale d'identité trilingue. Cette décision concerne plus de 380 millions de personnes sur un territoire de plus de 5 millions de km2.

L'Afrique de l'Ouest est-elle en train de reconstituer les contours des royaumes et des empires ouest-africains du Moyen-Âge en faisant un pied de nez aux frontières héritées de la conférence de Berlin de 1885 ? Tente-t-elle, en s'appuyant sur l'Histoire de la région, de renforcer un sentiment d'appartenance transnationale dans un contexte mondial où de nombreux pays optent pour le repli sur soi et le nationalisme ?


5. Systèmes de désobéissance


• Conscience et Mouvements politiques
• Citoyenneté


Grèves, manifestations, boycotts, occupations de l'espace public, militantisme, activisme : à quel moment de sa vie décide-t-on de créer ou de s'impliquer dans un mouvement citoyen pour changer la société ? La résistance passe-t-elle nécessairement par des actes collectifs ou violents ? La résistance passive et la désobéissance civile produisent-elles vraiment les effets escomptés ? Doit-on sacrifier ses intérêts personnels au profit de l'intérêt collectif ?

Dans un contexte mondial où les libertés de circuler et de s'exprimer sont mises à mal, où les crises identitaires et xénophobes se multiplient, où les partis politiques populistes gagnent du terrain, et où le chacun pour soi se banalise, comment se construisent les consciences individuelles et collectives basées sur un principe d'altérité et de solidarité ? À quel moment avons-nous oublié qu'il n'y a qu'une seule race, la race humaine ?

La désobéissance, qui est parfois le refus du fatalisme, se traduit souvent en Afrique par un engagement citoyen fort : création sur fonds propres d'une fondation, d'un centre de formation, d'un centre de production et de diffusion artistique. "Prenez soin les uns des autres" n'est pas un banal slogan en Afrique, c'est une réalité.


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